De l'Atlantique Sud à l'océan indien
Le Clement est le premier d’une série de
navires de commerce britanniques interceptés
dans la même zone en octobre 1939. Traçant
d’ouest en est à travers l’Atlantique Sud, le
Graf Spee capture en effet le Newton Beech le 5, puis, à peine plus à l’est, le
Ashlea deux jours plus tard. Le
10, c’est au tour du Huntsman
d’être saisi ; fuyant un secteur qu’il vient d’écumer,
le « cuirassé de poche » descend plein
sud, toujours sur la route Le Cap-Freetown, et
envoie par le fond le Trevanion le 22 octobre,
à 450 km au sud de l’île de Sainte-Hélène.
Si Langsdorff coule directement les Clement,
Ashlea et Trevanion, il garde pendant quelques
jours les Newton Beech et Huntsman, pour
mieux les inspecter et déplacer leurs cargaisons
à son bord : 90 t de sucre, des caisses de
thé, de pommes de terre, etc. Le 14 octobre,
il a aussi transféré une partie des équipages
capturés sur l’Altmark avec lequel il avait un
rendez-vous pour mazouter. Langsdorff garde
cependant sur le Graf Spee les officiers et
radios qui peuvent lui fournir des renseignements
utiles.
Pendant ce temps, les Britanniques ont
lancé une véritable traque. Ce sont plus
d’une douzaine de croiseurs légers et lourds
et pas moins de quatre porte-avions qui sillonnent
l’océan et escortent les convois. C’est d’ailleurs pour cette raison que le corsaire allemand
ne cherche pas à croiser sur les principales voies
maritimes : il sait qu’il risque d’y rencontrer plus fort que
lui… Langsdorff préfère frapper fort, puis se dérober pour
réapparaître là où on ne l’attend pas et recommencer.
Jusqu’à présent, les Britanniques ont aussi été divertis
dans leur chasse par l’action du Deutschland en Atlantique
Nord. Mais à compter du 1er novembre, ce dernier regagne
les eaux allemandes – il atteindra Gotenhaven le 15. Or,
les informations du service naval de renseignements allemand concordent avec
celles recueillies par Langsdorff: l’ennemi concentre
ses croiseurs entre Dakar et Freetown et sur la route du
Cap, où sont encore attendus les deux dreadnoughts
français Provence et Bretagne ! Il est donc temps de
trouver un nouveau terrain de chasse.
Après presque
quatorze semaines de mer et une croisière d’environ 29 700 nautiques
(55 000 km) – soit bien plus que la circonférence de la Terre,
Langsdorff estime qu’il est temps de penser à rentrer. L’hydravion
d’observation connaît des pannes à répétition (il sera définitivement hors service début décembre), et, malgré des réparations menées
en mer lors de ses rendez-vous avec l’Altmark, le Graf Spee commence
« à fatiguer » : les Diesel nécessitent une révision complète,
et un carénage devient indispensable. Pour toutes ces raisons, un
retour en Allemagne s’impose avant qu’il ne soit trop tard. Aussi, fin
novembre, le commandement laisse le choix à Langsdorff soit de continuer sa Kreuzerkrieg, soit de rentrer immédiatement.
En date du 23 novembre, le commandant allemand
écrit dans le journal de bord : « Notre
guerre au commerce touche à sa fin. Il n’est
plus nécessaire de prendre garde de la même
façon à la possibilité que le bâtiment encaisse
des coups. Si l’Admiral Graf Spee arrive à portée
de combat, on peut escompter que l’artillerie
puissante du Panzerschiff occasionnera à tout
adversaire potentiel, à l’exception du Renown,
des avaries telles qu’il ne pourra pas conserver
le contact. »
L'ambition d'un capitaine
Cependant, une chose manque à Langsdorff :
un convoi !
Son tableau de chasse est fort correct
(plus de 30 000 GRT) et sa mission est
remplie puisque le trafic allié est désorganisé,
mais le commandant du Graf Spee souhaite
terminer sur un coup d’éclat, d’autant que l’état
général de son bâtiment le lui permet encore… Il
rejoint donc le secteur qui lui a tant été favorable
en octobre. Il l’est encore. Le 2 décembre, il
envoie par le fond le Doric Star
et, le lendemain, le cargo frigorifique Tairoa.
Toujours pour échapper à d’éventuels
poursuivants, le « cuirassé de poche »
effectue ensuite un brusque changement de
cap, traversant l’océan d’est en ouest pour
un rendez-vous avec l’Altmark le 6 décembre.
Le 7 décembre, à 18 h 43, le Graf Spee arraisonna le navire anglais Streonshalh, puis le coula après avoir pris à son bord les trente et un membres de l'équipage. Jusqu'à la dernière minute, le capitaine avait ignoré la nationalité de l'agresseur et, celui-ci, après s'être fait reconnaître, avait interdit toute émission radio. Pourtant, des documents secrets furent mis dans deux sacs et jetés par dessus bord, mais les hommes du Graf Spee réussirent à s'emparer de l'un d'eux avant qu'il disparût dans les flots.
Le contenu de ce sac révéla de précieux renseignements sur les points de rassemblement des bateaux marchands anglais dans la zone du Rio de la Plata. Pensant qu'il était en mesure désormais de faire une bonne récolte, Langsdorff fit route immédiatement vers ces points de rassemblement. En fait, il ne devait y trouver que sa propre défaite. Sur les itinéraires maritimes du Rio de la Plata, où il naviguait en zigzag, le Graf Spee ne rencontra pas de navire. Entre-temps, un message du Bureau des opérations navales donnait de grandes espérances : il annonçait qu'un convoi anglais de 30 000 tonneaux, constitué par quatre navires escortés d'un croiseur auxiliaire, devait bientôt quitter Montevideo.
Dans la nuit du 12 au 13 décembre, le Graf Spee patrouilla au large du Rio de la Plata. Langsdorff avait l'intention, s'il ne trouvait rien, de se diriger le lendemain matin vers la baie de Lagos. Dès les premières heures de la matinée, il mit le cap à l'est, prévoyant de virer vers l'ouest à 6 heures, mais à 5 h 30, la vigie signala deux mâts qui se détachaient sur le ciel du matin.
Comme le cuirassé corsaire se dirigeait vers eux, l'officier navigant rappela à Langsdorff l'ordre d'éviter les forces ennemies, mais le commandant estima qu'il devait s'agir là d'un navire appartenant au convoi signalé et qu'il était en mesure de faire un « joli carton » sur l'escorte.
Il fut bientôt déçu : le navire anglais était le croiseur léger Exeter et deux croiseurs de la classe de l'Achilles suivaient dans son sillage.
Langsdorff jugea qu'il serait inutile d'essayer d'échapper aux trois croiseurs et qu'une rencontre était inévitable. Il attaqua immédiatement, afin de surprendre l'adversaire, et ouvrit le feu sur l'Exeter.
Il était 6 h 17. La bataille du Rio de la Plata avait commencé.